Rencontre avec… Ali Aboubaker Houmed Directeur de SOS Village d’Enfants de Tadjourah

SOS Village de Tadjourah, «village» d’accueil pour enfants vulnérables a été inauguré officiellement par le président de la République M. Ismail Omar Guelleh et son gouvernement. C’était le 23 Octobre 2014. Aujourd’hui, le centre a pris sa vitesse de croisière. L’occasion pour son responsable, Ali Aboubaker Houmed, de nous entretenir sur les défis et les ambitions qu’il nourrit pour ce centre d’exception dédié à l’accueil des enfants vulnérables de la République…Entretien.

» SOS Village d’Enfants de Tadjourah recueille prioritairement les enfants abandonnés à leurs sorts pour leur offrir tout ce dont ils manquent »

La Nation : Depuis l’ouverture du village, dans quelles conditions avez vous reçu les premiers enfants ?

Ali Aboubaker Houmed :- A l’ouverture du village, le 17 mai 2014, nous avons pu accueillir nos quinze (15) premiers pensionnaires. Il s’agissait d’une population d’enfants déshérités matériellement et affectivement et dont la détresse sociale justifiait amplement leur admission au centre. Je dois dire que leur accueil s’est fait de manière formidable puisque tout était déjà en place au moment de leur admission. Les mères étaient déjà recrutées et formées. Le directeur du village qui fait figure de père, était lui aussi présent tout comme l’ensemble des membres du staff pédagogique et éducatif. Les ‘caregivers’, c’est-à-dire l’ensemble des personnes chargées d’assurer la prise en charge des enfants ont fait un travail remarquable. L’éducateur du village, les mères, les tantes et les assistantes sociales, ainsi que les agents du staff technique, dont les agents de maintenance, les jardiniers, les agents de sécurité…etc, ont assuré leurs missions.

C’est ainsi que le village a commencé à fonctionner et à vivre normalement. Les premiers enfants sont arrivés dans un état de précarité physique, psychologique et affective. Notre prise en charge a été quasi parfaite. Dès la première semaine, la différence était déjà palpable puisque les enfants qui nous étaient confiés avaient changé radicalement d’apparence physique d’abord. Je ne vous parle même pas des cas les plus extrêmes comme ces enfants qui ne marchaient même pas, ou ceux qui avaient le regard vide et le visage sans aucune expression. Des enfants qui avaient perdu l’usage du sourire. Aujourd’hui, lorsque tous ces petits anges se remettent à marcher, courir et s’agiter dans tous les sens en partageant ainsi leur joie de vivre, cela nous emplit de bonheur et nous gonflent de joie. Le manque d’attention et d’affection, la négligence et surtout les dures conditions de vie avaient durement éprouvés ces mômes dans leurs milieux sociaux d’origine. Peut être avaient-ils des parents, ou peut être pas, mais en tout cas, il apparait clair que personne ne s’occupait d’eux comme il eut fallut.

Parlons justement de la prise en charge et surtout de l’attention et des soins que vous apportez aux enfants de SOS Village de Tadjourah.

La réponse à cette question appelle de ma part une précision importante d’abord. Il s’agit de l’acception ou du statut de SOS Village de Tadjourah, qui n’est pas un orphelinat dans le sens classique du terme. Nous refusons de prendre cette étiquette qui ne convient nullement à la mission de notre établissement. L’enfant peut être orphelin avant d’être admis dans notre village, mais une fois reçu, il n’est plus orphelin, et c’est d’ailleurs pour cela que l’on appelle village d’enfants et non pas orphelinat. Et naturellement, la prise en charge n’est plus la même. Dans un orphelinat, l’enfant reste quelques temps, alors qu’au village d’enfant, les gamins viennent pour y rester jusqu’à l’âge de 23 ou 24 ans, c’est-à-dire jusqu’à la fin de leurs études universitaires et au moment d’aller travailler et fonder une famille. Et c’est à ce moment là que l’on coupe le cordon ombilical entre l’enfant et l’organisation ‘SOS Village’, pour ainsi dire. Quant à la prise en charge, en général nous accueillons des enfants abandonnés, ou des orphelins de père et de mère…Ce sont donc des enfants qui sont totalement délaissés. C’est cette misère humaine que nous essayons de soulager lorsque lançons nos procédures d’admission des enfants. Je vous signale au passage, qu’un enfant orphelin n’est pas forcément vulnérable, car il peut avoir une tante ou une grand-mère ou plus généralement un parent qui s’occupe de lui et lui donne l’affection et l’attention parentale. C’est pourquoi, nous prenons en priorité les enfants qui manquent justement de ce soutien, cette figure de père ou de mère ou de parents et de proches afin de leur donner l’attention affective et le minimum de confort matériel indispensable à l’épanouissement d’un enfant.

Qu’en est-il des procédures d’admission au centre SOS Village de Tadjourah.

Nos conditions et critères d’admission au SOS Village d’Enfants de Tadjourah sont très stricts. Tout d’abord, les parents, les proches ou les tuteurs légaux des enfants proposés à l’admission prennent contact avec nous. Une fois la demande officielle d’admission déposée, SOS village d’enfants Tadjourah entreprend des enquêtes pour évaluer l’entourage familial de l’enfant. Aussi, nos agents vont s’enquérir de l’environnement familial dans lequel évolue l’enfant. Ils observent scrupuleusement comment cet enfant est traité, s’il est victime d’abus ou s’il souffre d’un déficit d’attentions et de soins quelconques…etc. Notre évaluation nous permet donc de juger si cet enfant-candidat a vraiment besoin d’une prise en charge. Les résultats de l’enquête sont soumis à un comité d’admission qui décide en dernier ressort. Ledit comité est composé en principe des autorités préfectorales, du conseil régional, mais aussi d’un représentant du ministère de la Femme, le Ma’doum Al Charia, et enfin les responsables du Village d’Enfants. Régulièrement, le comité étudie les dossiers et décide des candidatures admissibles ou non. Et si en effet, un enfant est admis, une procédure administrative, judiciaire et sanitaire est engagée afin de régulariser la situation. Une fois admis, l’enfant a une mère SOS, qui est le pilier de toute l’organisation, c’est la personne centrale du dispositif SOS Village d’Enfants. Elle doit entourer l’enfant de toute son affection et son amour maternel. Dans ce dispositif, l’enfant hérite de nouveaux frères et sœurs, qui habitent dans la même maison et qui partage la même mère que lui. C’est ainsi que l’enfant en détresse trouve un foyer et des proches affectueux et attentionnés. Et au-delà du foyer, le village d’enfants représente la communauté pour l’enfant. Je pense qu’il est important de souligner cela, un enfant à l’abandon trouve dans notre village une mère, une fratrie, un foyer, un entourage familial aimant et toute une communauté à travers le village. SOS Village recueille donc prioritairement ce type d’enfant laissé à lui-même et lui offre tout ce dont il manque. On entend de ci et de là, certaines idées reçues comme quoi les enfants de SOS Village sont des orphelins. Faux ! Un orphelin peut avoir une grand-mère, une tante ou un proche qui lui donne l’affection et l’attention nécessaire. Par principe, SOS Village évite toujours de séparer un enfant de sa famille d’origine, car notre philosophie et notre expérience nous ont appris que l’on ne peut jamais remplacer des parents biologiques ou des proches qui ont des liens de sang avec un enfant. Nous nous positionnons donc comme le dernier recours pour un enfant qui est complètement paumé et perdu. L’autre exigence que nous avons, c’est l’âge de l’enfant qui ne doit pas dépasser les 5 ans. L’expérience enseigne que plus l’enfant est jeune, meilleure est son adoption. Exceptionnellement, si un enfant qui rempli les critères d’admission se présente avec sa fratrie, SOS Village prend tout la famille en bloc afin de laisser des attaches familiales à l’enfant. Il nous est arrivé aussi de renvoyer des enfants qui n’avaient pas trouvé leur plein épanouissement au Village d’Enfants car ils étaient déjà d’un certain âge et leur milieu extérieur leur convenait parfaitement. Ces enfants supportaient mal, une scolarisation normale et une éducation rigoureuse au foyer alors qu’ils étaient totalement libres dehors dans la nature.

Depuis mai 2014, une année vient de s’écouler. Racontez-nous comment s’est passée cette première année ?

Depuis l’ouverture du Village en mai 2014, nous avons admis quelque 37 nouveaux enfants. Rien que la semaine dernière, nous avons accueilli un nourrisson de trois mois et demi qui nous a été présenté à quarante jours seulement après son arrivée au monde. Mais le comité a préféré étudier le cas de manière rigoureuse avant de donner son assentiment à l’entrée du bébé dans le village. A ce jour, nous avons donc 37 enfants alors que nos capacités d’accueil maximales sont de 100 enfants. Nous avons dix maisons familiales et chaque mère peut accueillir 10 enfants dans son foyer. SOS Village d’Enfants de Tadjourah a encore une soixantaine de places à pourvoir. Je voudrais tirer au clair une chose essentielle, c’est que SOS Village d’Enfants de Tadjourah est seulement implanté à Tadjourah, mais il est destiné à tous les enfants de la République. Notre centre n’est pas exclusivement destiné aux enfants de Tadjourah. Il est ouvert à tous les pupilles de la Nation. Et nous savons qu’à Djibouti ville par exemple, les enfants vulnérables qui sont livrés à eux-mêmes sont nombreux. J’aimerais préciser également que nous avons des conventions de partenariat avec d’autres institutions ou ONGs qui travaillent dans le même domaine que nous. Il s’agit de La Pouponnière Daryel d’abord, car c’est le lieu d’accueil par excellence des enfants abandonnés. La Pouponnière a bien voulu orienter vers nos services les enfants abandonnés qui manqueraient de place dans leurs centres d’accueil. Donc, nous étudions des solutions pratiques pour donner à ces enfants en proie à la détresse le soulagement indispensable.

Si l’on revenait au traitement qui est réservé aux enfants accueillis dans SOS Village d’Enfants de Tadjourah ?

Dans notre dispositif, ce sont les mères qui sont les principaux piliers d’assistance aux enfants. Une mère de chez nous, ne se sépare jamais de ses enfants, surtout s’ils n’ont aucune attache familiale. Même pendant ses périodes de congés, elle emmène avec elle ses gosses. A l’exception tout de même des enfants qui ont encore des entourages familiaux à qui nous autorisons les visites les jours fériés et lors des vacances scolaires. Nous avons pour principe de ne jamais provoquer une rupture entre les enfants et leurs familles d’origines. Nous encourageons les proches parents à garder un contact permanent avec leurs enfants admis au Village d’Enfants. SOS Village d’Enfants de Tadjourah dispose aussi d’infrastructures scolaires comme l’école maternelle SOS. Les enfants en âge d’aller à l’école primaire suivent une scolarité normale à l’école publique. Nous apportons tout de même un soutien à domicile aux enfants en difficultés. A la longue, nous pensons créer une école spéciale pour le village voire même un centre médical comme c’est le cas dans les autres pays où SOS Village d’Enfants est installé depuis un moment.

Qu’en est-il du système de parrainage qui fourni les fonds sur lesquels fonctionne SOS Village d’Enfants de Tadjourah?

SOS Village d’Enfants est une organisation internationale qui vit sur un système de parrainage. Tous ses fonds proviennent de dons offerts par des pays comme le Danemark, l’Allemagne, …, qui financent le projet de Djibouti, en l’occurrence. Des pays développés, de grandes firmes multinationales, de généreux mécènes, mais le gros du parrainage, je rappelle au passage que SOS Village existe depuis la IIème Guerre Mondiale, provient des cotisations des retraités qui ont consentis des sacrifices importants (de l’ordre de 1 Shilling par mois). Mais ce sont ces petites sommes qui ont toujours constitués le fond de démarrage de SOS Village d’Enfants dans le monde. Et c’est grâce à ces petits épargnants européens que SOS Village d’Enfants de Tadjourah a vu le jour, tout comme le projet du E-Learning Center de Balbala et bientôt celui du Programme de Renforcement Familial… Le parrainage local démarrera prochainement à Djibouti pour financer un volet du projet ou même parrainer un foyer, un enfant, ou amener des vêtements neufs lors des fêtes… Ce sont nos enfants, et il est de notre devoir de contribuer à l’œuvre que SOS Village d’Enfants à initier dans notre pays et même ce l’approprier comme l’ont fait certain pays, en l’occurrence l’Afrique du Sud, qui intégralement finance certains projets SOS.

Propos recueillis par MAS

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